Alors, ça dit quoi ?
Comme tout gamin né au début des années 90 et fan de rap, j’ai bouffé du Rohff pendant ma jeunesse. J’ai saigné ses deux premiers albums, j’avais pris une tarte avec La cerise sur le ghetto de son légendaire groupe Mafia k’1 fry, et je me suis évidemment ambiancé sur ses tubes des années 2000. Je ne suis plus sa carrière depuis longtemps maintenant. Surpris de le voir programmé à la Halle Tony Garnier (je suis Lyonnais), qui me paraissait être une salle bien ambitieuse pour son succès actuel, j’ai jeté un œil à son actualité. C’était pas beau à voir. On va essayer de retracer la carrière de Rohff à travers ses 10 albums, et comprendre comment un tel monument s’est effrité avec le temps. Je précise que je me suis tapé toute sa discographie pour écrire cet article. Je suis quelqu’un d’investi.
Après une participation remarquée sur la mythique mixtape Première Classe avec le morceau On fait les choses en 1998, et l’album Légendaire de la Mafia k’1 fry sorti la même année, Rohff passe en mode solo avec Le code de l’honneur. Sorti en 1999, cet album est considéré sans conteste comme un classique du rap français. Rohff avait déjà un talent certain, malgré un flow parfois bancal et des textes qui ne volent pas toujours très haut. Le MC de Vitry avait un cœur énorme, une authenticité irréfutable, un timbre de voix marquant, des interprétations puissantes, un début de technique avec une recherche régulière de répétitions de rimes. Rohff avait surtout une vision sincère de son milieu social et rappait la cité avec un message intelligent, cru, politique et porteur d’espoir. Génération sacrifiée en est le meilleur exemple. Les prods de l’album sont variées, les ambiances différentes, avec des mélodies à la guitare sèche, à la flûte, des influences de musiques noires, latines ou orientales. Les lignes de basses sont chaudes, ça groove et ça kick fort. Les ventes sont plus que satisfaisantes pour un album indépendant et sans promo, et permettront au Vitriot de signer chez Hostile Records.
En 2001 sort La Vie avant la mort, l’album qui fera connaître Rohff dans tout l’Hexagone. Le rappeur y est plus technique, les punchlines sont bien plus travaillées et le sens de la formule est plus efficace. De gros tubes comme Qui est l’exemple ou TDSI côtoient des morceaux plus profonds et introspectifs. Les prods sont toujours très influencées par les musiques orientales et soul/funk. Je place ici que DJ Mehdi était un monstre, la prod de SSEM est énorme. Cet album me plaît un peu moins car il y a pas mal de morceaux trop commerciaux à mon goût, de prods avec des sonorités moins élégantes. Mais Rohff rappe clairement mieux qu’avant et plusieurs morceaux sont monstrueux. C’est un rappeur hardcore qui sait ouvrir son cœur et se livrer sincèrement, et c’est assez rare pour être souligné. Les ventes sont au rendez-vous et La Vie avant la mort est un immense succès commercial.
Avec son nouveau statut de gros poisson du rap français, Rohff va croquer les années 2000 à pleines dents avec 3 albums, dont 2 double album : La Fierté des nôtres (2004), Au-delà de mes limites (2005) et Le code de l’horreur (2008). C’est la période dans laquelle Housni sortira ses plus gros tubes : La puissance, En mode, 94, Le son qui tue, Starfuckeuse… On rentre dans une phase plus typique du rap français des années 2000 (c’est pas un compliment), les prods évoluent dans ce sens, les morceaux sont plus carrés et groovent moins. L’influence américaine se fait sentir de plus en plus, surtout à partir de 2005, et ces albums sont globalement plus accessibles qu’avant. Les doubles albums n’étaient pas forcément nécessaires et je trouve que beaucoup de morceaux sont jetables. Malgré tout, ces opus restent qualitatifs pour les standards de l’époque. Rohff est technique, toujours fort en interprétation, il s’adapte bien aux différents univers qu’il explore. Ses textes sont globalement corrects, et il sort toujours de gros morceaux sans refrains, profonds et touchants, qui marqueront sa carrière. On pense à Regretté ou Testament. Les ventes sont toujours colossales, et Rohff est au sommet de sa gloire durant cette période. Seul Booba peut se placer en rival face à lui. Malheureusement, l’un vieillira mieux que l’autre.
Le début de la fin. En 2010 sort La Cuenta, sixième album de Rohff, et premier flop commercial. Dans une interview de Mehdi Maizi, Housni considère que cet album était trop avant-gardiste pour être compris. Je pense qu’il est tout simplement mauvais. Le rappeur du 94 a complètement basculé dans le bling bling beauf et l’imitation grossière des cainris, les prods aux sonorités électroniques sont affreuses, l’utilisation de l’autotune est naze, il y a trop de punchlines vraiment gênantes (je vous laisse écouter Célibatard pour en juger), la plupart des flows et des intonations sont ridicules. Y a un feat avec Karim Benzema, que dire de plus. Quand l’artiste tente de revenir sur des morceaux plus « français », c’est pour pondre des musiques mélancoliques et creuses, comme savait si bien le faire La Fouine, qui est d’ailleurs en feat sur l’album. Non vraiment, j’ai passé un très mauvais moment. Pourtant, il y a encore un ou deux sons où Rohff montre qu’il sait toujours rapper comme avant. Dommage.
La suite, c’est 4 albums, dont une seule réussite commerciale à l’échelle du monument qu’est Rohff : PDRG sorti en 2013. L’album est sûrement le meilleur de la période post 2010. Comme quoi, le public n’est pas complètement con. Rohff Game (2015) est mauvais, Surnaturel (2018) est un peu mieux, Grand Bonhomme (2021) n’apporte rien de nouveau. Sur ces opus, on retrouve des prods dépassées, des refrains de mauvais goût, des intonations pas possibles, des tentatives de flows dégueus, des paroles débiles, trop de sons commerciaux mauvais. Au milieu de ça, il y a toujours quelques morceaux pas mal, voire très bons, quelques punchs marquantes, une technique correcte, quelques tubes efficaces. Mais on dirait que Rohff n’évolue plus et que le public le sent. Ses albums sont creux et beaucoup trop longs. Il tente tellement de choses différentes sur un même opus qu’il en perd presque son identité propre. Les ventes suivent de moins en moins. Le géant coule lentement.
Près d’un an après sa sortie, Grand Monsieur n’est toujours pas disque d’or. Sur ces dernières années, tous les gros (voire moins gros) rappeurs vendent plus que Rohff. Il a pourtant une fan base qui lui permet d’écouler 13 000 exemplaires de son dernier album en première semaine, et de porter Rohff Game ou Surnaturel au disque de platine, ce qui n’est pas rien. Pourtant, des rappeurs plus modestes, comme Soso Maness ou Caballero&JeanJass sont plus visibles que lui. Pourquoi ? Parce que, comme dit plus haut, le rap de Rohff n’est plus à la page. Parce que son identité artistique se perd dans son grand écart entre la France et les USA. Parce que le Vitriot souffre d’un déficit d’image, lié notamment à sa gestion catastrophique des réseaux sociaux. Parce que son message passe moins, entre des textes clairement moins futés et des leçons de morale dures à entendre de la part d’un mec qui traîne des histoires de violences conjugales et qui parle de beurettes à longueur d’albums. La récente embrouille avec Wejdene (la honte bordel) illustre bien ces deux derniers points. Même les feats avec des stars actuelles du rap n’y font rien. Résultat, sa première tournée depuis presque dix ans a viré au fiasco. 9 dates sur 10 annulées. En même temps, il était complètement lunaire de penser que Rohff pouvait remplir les zéniths de tout le pays. Y avait personne pour lui dire que c’était une connerie, qu’il fallait viser des salles plus petites ? À croire que le gars n’est pas entouré. Lueur d’espoir dans ces ténèbres : la seule date maintenue de la tournée est déjà mythique. Dans un Bercy plein, avec une ambiance digne d’un parcage d’ultras, Rohff a pu rappeler à tous qu’il est bien un grand bonhomme du rap fr, du haut de ses 25 ans de carrière : des classiques intemporels, des tubes géniaux, des expressions que la France entière utlise depuis 15 ans. De quoi relancer une spirale positive ? Ou saisir l’occasion de partir en beauté ?