Alors, ça dit quoi ?
Si vous nous suivez depuis un moment ou que vous avez fait un tour approfondi de nos chroniques, vous savez que je suis un grand fan de Roguelike. J’ai pris le phénomène en pleine poire grâce aux jeux indés des dix dernières années, et je ne m’en lasse pas. Il me tenait donc à cœur d’écrire sur le sujet afin de clarifier ce genre de jeu pour les profanes, et d’apporter quelques réflexions personnelles. Vulgarisation en cours.
Les caractéristiques du genre :
Pour commencer, précisons que le Roguelike est un sous-genre de jeu vidéo, qui s’associe donc à des genres principaux comme le RPG, le jeu de stratégie (souvent tour par tour), l’action/aventure, mais aussi le jeu de survie ou encore l’infiltration. Le Roguelike est régi par deux grands commandements :
• La génération procédurale. L’idée est de ne jamais vivre deux parties identiques. À chaque nouvelle run, la structure des niveaux va changer, les ennemis ne seront pas implantés de la même manière, le loot sera différent.
• La mort permanente. Dès que l’on perd, on doit recommencer du tout début. Pas de possibilité de revenir à une sauvegarde en cours de route.
L’idée de base du Roguelike était de récréer les conditions d’une partie de jeu de rôle papier dans un jeu vidéo : des parties toujours différentes et des personnages qui n’ont pas de seconde chance.
Nota bene : Je vais souvent utiliser le terme run dans cet article, vocabulaire courant quand on parle de Roguelike. Une run correspond à une partie, au moment où l’on est lancé dans le jeu et qu’un Game Over nous fait tout perdre. Cela peut correspondre à un niveau du jeu, ou au jeu tout entier.
Ces principes peuvent rebuter au premier abord, si l’on est habitué aux RPG ou aux jeux d’action/aventure classiques. Ils permettent pourtant de bouleverser notre expérience vidéoludique et de revisiter des genres ancrés et connus de tous. Le concept de mort permanente amène une tension et une nervosité rare à nos parties, et élève fortement le niveau d’exigence du jeu. Les runs sont relativement courtes (entre 30 mn et 2 h pour la plupart des jeux), puisqu’il faut les terminer d’une traite. La mort permanente impose une concentration de chaque instant, car la moindre erreur peut pourrir un parcours jusque-là parfait. On pensera à Dead Cells ou Wizard of Legend, dans lesquels les heals sont rares et les fautes extrêmement punitives. Dans ce sens, les jeux aux runs trop longues, comme Don’t Starve, peuvent malheureusement frustrer. Perdre des dizaines d’heures de progression sur une erreur bête et tout recommencer du début, ça peut faire grincer des dents.
Pour pallier le caractère fugace d’une run et garder une durée de vie convenable, les Roguelike utilisent plusieurs astuces. Les jeux qui se finissent au bout d’une seule et unique run pourront vous demander de la terminer plusieurs fois pour voir la cinématique de fin, avec des niveaux de difficulté croissants comme dans Dead Cells, ou avec des personnages différents comme dans Crypt Of The NecroDancer. D’autres jeux sont constitués de plusieurs petits donjons, dont chaque exploration constitue une run, qu’il faut terminer pour accéder au boss final. C’est le cas de Moonlighter ou de Darkest Dungeon. D’autres encore jouent la carte du complétionniste. Dans Wizard of Legend, on a officiellement terminé le jeu après avoir bouclé une run, mais le boss final nous lâche un nouveau pouvoir surpuissant à chaque victoire, qui nous donne envie de relancer une partie pour tous les débloquer. En plus de ces conditions particulières pour atteindre la victoire finale, les Roguelike sont souvent très durs. Il vous faudra un certain temps et beaucoup d’entraînement pour venir à bout de votre première run d’Enter the Gungeon ou de Street of Rogue. Bref, si on peut théoriquement terminer un Roguelike en quelques heures, ils sont en réalité des jeux avec des durées de vie gigantesques.
La génération procédurale permet de briser la routine, dans un genre où l’on relance toujours sa partie de zéro. Entendons-nous bien : On ne parle pas ici de full aléatoire, avec une run qui se monte n’importe comment. Les jeux possèdent leur structure, avec des niveaux ou des zones qui se succèdent dans un certain ordre, des bestiaires liés à ces zones, etc. C’est bien le level-design qui est impacté, ainsi que le nombre, le type et le positionnement des ennemis. On découvre ainsi le jeu sous une facette imprévisible à chaque run, avec des salles agencées de manière plus ou moins confortables pour nous, une disposition et une composition des groupes d’ennemis plus ou moins avantageuse, etc. Certains jeux sont très rigides dans leurs structures (toujours les mêmes niveaux et boss dans le même ordre), d’autres le sont beaucoup moins, comme We Need to go Deeper qui propose un choix aléatoire entre 3 univers à chaque niveau, ou Enter the Gungeon qui fait la même chose avec les boss de chaque étage.
Nous allons nous attarder sur le troisième élément impacté par la génération procédurale : le stuff. Dans la plupart des Roguelike, on récupère de l’équipement au cours de la run, dans des coffres, sur des boss, dans des boutiques, ou planqué ailleurs. Ce stuff peut prendre la forme d’armes ou d’armures avec des capacités spécifiques, de potions aux bonus temporaires, d’objets activables aux effets divers. Cet équipement doit nous permettre d’aller au bout de la run en nous rendant plus forts, d’autant qu’on commence souvent les parties à poil, ou presque. De par la génération procédurale, le stuff que l’on trouve sera différent à chaque run. On va devoir faire des choix entre plusieurs items, acheter ce que l’on peut, faire avec ce que le jeu veut bien nous donner. Tous ces objets que l’on va équiper forment ce que l’on appelle un build, un ensemble plus ou moins cohérent, et va fortement impacter notre gameplay. Dans beaucoup de Roguelike, la liste des équipements à trouver est immense et permet de vraies réflexions sur la construction du build, de renouveler l’expérience de jeu et de nous sortir régulièrement de notre zone de confort. Isaac ou Enter the Gungeon en sont de parfaits exemples, et il est excitant de lancer une run juste pour voir sur quel stuff on va tomber. En bref, la génération procédurale amène une part d’inconnu stimulante, qui donne encore envie de relancer une partie au bout du 50ᵉ échec.
Quels sont les éléments pour un bon Roguelike ?
Maintenant que les bases sont posées, nous allons réfléchir à ce qui fait un bon Roguelike. Je conseille sur le sujet la vidéo de Game Next Door (abrégé en GND), qui est très intéressante et dont je vais reprendre des éléments ici. Commençons :
– L’équilibrage est un point essentiel. Au-delà de faire un bon Roguelike, c’est ce qui fait un Roguelike tout simplement jouable. Si on laisse la génération procédurale dans les mains d’un hasard chaotique, on obtiendra sûrement un jeu sans queue ni tête. Il faut maîtriser l’aléatoire pour que nos parties soient toujours différentes, mais bien équilibrées. Concernant le level-design, l’idée sera d’avoir des niveaux ou des arènes structurés correctement. GND souligne le travail fait sur Dead Cells et Invisible.Inc, où les niveaux sont constitués d’archétypes de pièces créés à la main (couloir, grande salle, étage étriqué…) dans lesquels l’aléatoire va piocher pour former un tout homogène et cohérent. Le même méthode est utilisée pour monter les donjons de Wizard of Legend. Pour les ennemis, il s’agira de bien équilibrer leur nombre, notamment en fonction de leur puissance, pour que l’on ne passe pas d’une run sans challenge à une run infernale. Enfin, l’équilibre du stuff est sûrement le moins évident. Il faut déjà qu’il n’y ait un nombre correct d’équipement à ramasser, ni trop, ni pas assez. Pour cela, les jeux instaurent souvent un nombre précis d’emplacement d’items par niveau. Il faut ensuite un équilibre sur la puissance des objets que l’on trouve. Enter the Gungeon fait là aussi les choses bien, avec des items classés en 5 catégories, selon leur puissance et leur rareté. Ainsi, la force d’un objet est contrebalancée par le peu de chance que l’on a de tomber dessus. Enfin, il faut que les consommables (heals, clefs et autres) soient aussi accessibles, sans que l’on en soit gavé. Undermine, parmi d’autres, pêche sur ce point-là.
– GND appelle ça le « juice », à comprendre le gamefeel, et ils mettent le doigt sur un point que je n’aurais pas forcément vu. Puisque l’on recommence le jeu depuis le début à chaque mort, et que se retaper les premiers niveaux peut finir par être lassant, il faut que le jeu nous en mette plein la vue. Effets sonores et visuels marquants, OST captivante, le moindre détail doit être pensé dans ce sens. GND prend l’exemple de ScourgeBringer, Roguelike explosif avec un gamefeel particulièrement soigné. Mais on pensera aussi à Dicey Dungeon avec ses dés et ses cartes qui font des bruits de gifles et qui bousculent l’écran. À Hades, ses effets magnifiques et son OST rock. À Crypt of the NecroDancer et son dancefloor géant. Évidemment, à Darkest Dungeon, son sound design violent et son narrateur hypnotique. En plus du gamefeel, et même si ça paraît évident, j’ajouterai le gameplay. Un jeu nerveux et intense a forcément plus de chance d’effacer la monotonie, même celle d’un premier niveau rejoué 150 fois. Enter the Gungeon, Dead Cells, Hades, Wizard of Legend, Nuclear Throne… Autant de jeux qui mettent le feu dans nos mains et sont toujours agréables à jouer.
– Pour faire une continuité avec le dernier point, je pense qu’au-delà d’être nerveux, un bon Roguelike se doit d’être dur, challengeant. Il y aurait peu d’intérêt à faire un jeu qui se termine au bout d’une run de deux heures, si on arrive à la torcher au bout du troisième essai. La mort permanente est punitive par essence, et nous pousse à l’excellence. Dans Dead Cells ou Enter the Gungeon, on va mourir des dizaines de fois dans les premiers niveaux, avant de commencer à les maîtriser et de progresser dans le jeu à la sueur de son front, en sentant son skill augmenter. C’est une sensation extrêmement satisfaisante. Invisible Inc vous fera sentir au cœur d’une partie d’échecs, tant chaque déplacement peut avoir une importance cruciale. Darkest Dungeon vous fera roter du sang, même après des dizaines d’heures de jeu, et vous obligera à toujours prendre au sérieux vos compositions d’équipe. Street of Rogue et son univers imprévisible ne vous permettront jamais de vous sentir sereins quant à la réussite de votre run. Cette difficulté me semble essentielle pour apprécier pleinement les préceptes de base du Roguelike.
– Dernier point, toujours dans le but de briser le potentiel ennui d’un jeu que l’on recommence en boucle : un Roguelike se doit d’être garni, surprenant, d’avoir du contenu et des secrets. On veut plusieurs personnages jouables pour varier le gameplay, des persos et PNJ à débloquer, des boss et des niveaux secrets, un bestiaire étoffé, des salles dont on ne comprend l’utilité qu’après des dizaines d’heures de jeu, des objectifs secondaires. Enter the Gungeon fait ça à merveille. Il y a tellement de choses à découvrir de manière cryptique, qu’on a l’impression de découvrir les secrets d’un donjon ancestral. C’est aussi cette qualité qui sauve Undermine. On parlera aussi de Dead Cells, et ses mécaniques metroidvania qui permettent de découvrir de nouveaux donjons et boss. Pour revenir au stuff, il est important que la liste des objets trouvables soit grande pour renouveler les runs. Une grosse réflexion autour de la complémentarité des items, afin de créer plein de builds possibles, est également essentielle. Rien n’est plus kiffant que de tomber sur un build qui casse le jeu. Je précise quand même que la quantité ne fait pas forcément la qualité. Golden Krone Hotel peut se targuer d’avoir des dizaines de personnages jouables, mais leurs gameplay sont beaucoup trop proches. À l’inverse, Dicey Dungeon n’a que 6 persos, mais chacun d’eux vous donnera l’impression de jouer à un nouveau jeu. Pareil pour le stuff. Undermine est un jeu avec une énorme liste d’item, mais il n’y a aucune réflexion sur le build ou l’impact sur le gameplay. Au contraire, Dead Cells possède moins de stuff, mais chaque arme vous fera réellement jouer différemment.
Pour conclure, je pense que mon Roguelike préféré est Enter the Gungeon. Un équilibrage au poil, un gameplay nerveux sublimé par un gamefeel puissant, une difficulté certaine que l’on dompte avec persévérance, et une multitude de façons de jouer différentes et de secrets à découvrir. À l’inverse, et même si c’est un pilier du renouveau des Roguelike, Rogue Legacy ne coche aucune case. Le level design est mal foutu, le gamefeel est déplorable, les classes et sorts ne varient pas assez le gameplay, il n’y a pas vraiment d’items et donc pas de build, le nombre de donjons et de type d’ennemis est faible. Le jeu n’est même pas vraiment dur en soit, c’est l’obligation de farmer des améliorations qui rend le début de l’aventure difficile. Car Rogue Legacy est un Roguelite, et non pas un Roguelike. Tu ne connais pas la différence ? Ça tombe bien, j’ai prévu d’en parler dans la partie 2 !