[Gaming] Quand le Gaming brise le 4ᵉ mur

La chute du mur

Alors, ça dit quoi ?

Depuis l’Antiquité, l’Homme utilise la fiction pour divertir, stimuler son imagination, raconter sa condition ou susciter l’émotion. Dans le théâtre antique, les acteurs avaient l’habitude de s’adresser directement au public et de créer une interaction entre la scène et les gradins. Au XVIIIᵉ siècle, le monde du théâtre cherche de nouveaux moyens de toucher le public et s’intéresse au réalisme. La notion de quatrième mur née de l’envie paradoxale de susciter l’émotion en séparant le spectateur de la scène, de créer un rideau métaphorique qui cadre la fiction. Ceci permet à l’auteur de concevoir un univers qui sera dès lors entièrement accepté par le public, puisqu’il en est exclu. Le 4ᵉ mur est d’autant plus accepté en littérature ou au cinéma, puisque la page ou l’écran représentent des frontières physiques évidentes, qui nous positionnent naturellement en dehors de la fiction. Une fois ce concept de 4ᵉ mur créé et démocratisé, beaucoup d’auteurs de théâtre et de littérature, ou de réalisateurs de films, se sont amusés à le briser, pour créer la surprise et provoquer diverses émotions.

Ce procédé a donc été utilisé dans la littérature (on peut penser à Bernard Werber ou aux BD de Goscinny), mais aussi énormément au cinéma, dans des registres très variés : Wayne’s World, Funny Games, Fight Club, Lord of War, Orange Mécanique… En tant qu’art et médium, le jeu vidéo puise ses inspirations dans ces autres supports fictionnels, et de nombreux développeurs ont donc mis le 4e mur (et sa chute) au service de leur œuvre. Dans quels buts ? C’est ce qu’on va voir maintenant.

Je préviens, cet article contient des spoils en vrac, notamment dans les deux derniers paragraphes.

Pour aider à la compréhension du jeu

La première raison est la plus évidente, et elle est tellement ancrée dans nos inconscients qu’il est possible de ne pas y penser. Dans notre cas, on n’a pas affaire à un film qui nous place en tant que simple spectateur, mais bien à une aventure interactive. Notre personnage a besoin de notre aide pour se déplacer et prendre possession de ses moyens physiques. Nous avons besoin de connaître les touches qui nous permettront de jouer avec notre héros, et celles-ci sont généralement présentées en début de jeu via un tutoriel. Ces contrôles étaient très souvent donnés de manière très peu subtile dans les jeux old school. Les exemples sont innombrables, mais on peut citer Murphy dans Rayman 2 ou Boottles dans Banjo-Kazooie, qui nous disent ouvertement d’appuyer sur A pour sauter, ce qui n’a évidemment aucun sens dans l’univers de ces personnages, qui sont par ailleurs censés savoir le faire naturellement. Cette manière de faire est d’ailleurs assez décriée et accusée de pourrir l’immersion. Les jeux plus récents font souvent plus attention et essayent de nous guider de manière moins bourrine.

Briser le 4e mur
Je ne m’en rendais pas compte à l’époque, mais ça manque un poil de subtilité.

Pour faire rire

La chute du 4e mur peut amener une complicité entre le joueur et les personnages du jeu, qui sied évidemment au registre comique. Il peut être surprenant et amusant de voir son héros prendre conscience de sa condition de tas de pixels. De nombreux jeux s’appuient sur le procédé pour faire rire leur public : Deadpool (qui fait aussi ça dans les Comics et les films), le Donjon de Naheulbeuk (qui est une parodie de RPG), High on Life (qui se permet notamment des vannes sur d’autres jeux), Conker (dans lequel les personnages taillent les choix des développeurs)… On peut aussi parler de tous les Point and Click de Lucas Arts, réputés pour leur humour décapant, qui se permettaient toujours un petit clin d’œil au joueur ou une allusion d’un personnage conscient de sa situation de héros de jeu. Thimbleweed park va même beaucoup plus loin, et intègre cette notion dans son intrigue. Certains jeux sont complètement basés sur la destruction du 4e mur. On peut citer There is no Game, dont le concept entier est de jouer avec les codes de jeux vidéo célèbres, et dont la voix off nous répète en boucle que ce jeu n’en est pas un et que l’on ferait mieux d’aller faire autre chose.

Briser le 4e mur
On en parle pas assez, mais ce jeu est une véritable dinguerie.

Pour faire peur

Sûrement une de mes utilisations préférées de ce procédé. Quoi de plus effrayant que de se sentir légitimement protégé derrière son écran, et de voir cette barrière protectrice s’effondrer ? D’être atteint dans les plus grands moments de vulnérabilité ? Plusieurs jeux font ça à la perfection. Doki Doki Literature Club, qui se la joue visual novel pour adolescentes, va profondément jouer avec nos nerfs. Après une première partie de jeu longue (et pénible), qui prend bien son temps pour qu’on ne se doute de rien, le jeu part complètement en vrille. Une de nos prétendantes va prendre le contrôle du jeu, créant des bugs de plus en plus flippants, éliminant ses concurrentes, avec de nous confronter en tête-à-tête. Nous, le joueur derrière l’écran. Le jeu est capable d’aller fouiller quelques infos dans notre ordi pour renforcer considérablement le malaise. Dans le même genre, Psycho Mantis, boss de Metal Gear Solid, pouvait faire des recherches dans la carte mémoire de notre PS1, justifiant son statut de personnage omniscient. Ce mentaliste allait encore plus loin dans la chute du 4ème mur en lisant vos mouvements sur votre manette, ce qui le rendait quasiment invincible. Pour reprendre le contrôle des événements, il fallait débrancher sa manette et le rebrancher sur le port 2 de la console. A sa mort, Psycho Mantis avouera n’avoir pas su lire dans vos pensées. Pas mal pour un jeu sorti en 1998.

Briser le 4e mur
Cette rencontre du mignon/niais et du glauque, c’est parfaitement dérangeant.

Autre jeu relativement ancien qui jouait avec votre matériel : Eternal Darkness. Dans ce survivol horror de 2002, vos persos avaient une jauge de santé mentale, qui amenait des hallucinations quand elle était trop basse. Celles-ci prenaient différentes formes (statue qui vous suit du regard) mais le jeu s’amusait surtout à s’en prendre directement à vous, en faisant croire que votre écran s’éteignait, que le volume du son bougeait tout seul, ou encore que vous effaciez votre sauvegarde sur une mauvaise manip. Frissons garantis. Dans le même genre, le jeu de cartes et d’horreur Insryption ira fouiller dans votre compte Steam, ou vous proposera de parier des fichiers système de votre PC. Comme autre exemple, ou pourra citer le splendide Super Hot. Cet ambitieux Puzzle/FPS nous place dans la peau d’un joueur qui essaye le jeu, qui va se montrer de plus en plus inquiet face aux bugs qu’il rencontre et dont la vie se trouvera menacée en fin de partie. On peut enfin citer Undertale (dont en reparlera plus tard), qui joue avec les codes du jeu vidéo pour mieux nous surprendre. On pense notamment au terrible tutoriel de Flowey, qui nous attaque dans une phase de jeu où l’on est très vulnérable, et normalement en sécurité.

Pour faire réfléchir et émouvoir

Pour finir, parlons de jeux qui utilisent la chute du 4ᵉ mur pour nous émouvoir, et nous faire réfléchir à nos actions. The Stanley Parable, célèbre Puzzle Game, est un jeu qui brise tellement le 4e mur que l’on peut considérer qu’il n’en a pas. Le narrateur est conscient de sa situation et s’adresse à vous et non au personnage, qui n’est là que pour faire de la figuration. The Stanley Parable est un échange entre vous et ce narrateur, qui va vous faire réfléchir sur votre rapport au jeu vidéo, à la vision que vous en avez, et aux habitudes inconscientes qui en découlent dans votre comportement de joueur.

Undertale est certainement le jeu qui a le mieux réussi à se saisir du procédé. Tous les éléments habituels d’un jeu vidéo dont on ne questionne jamais la cohérence (sauvegarde, repop après une mort…) ont ici un sens expliqué et sont réalistes dans cet univers. Au-delà de ça, le jeu vous jugera sur vos actions et vous mettra face à vos méfaits. La mort de vos ennemis vaincus vous sera reprochée, ces derniers seront de plus en plus fortement présentés comme les habitants d’un monde vivant, et la culpabilité risque de vous submerger, vous qui pensiez avoir juste éliminé quelques tas de pixels dérangeants. Dans la dernière run du jeu, qui vous demande d’exterminer tout le monde pour voir la vraie fin, le boss final en appellera à votre humanité, et vous demandera de quitter le jeu sans plus jamais le rallumer, afin de laisser son monde tranquille.

Briser le 4e mur
Le bout de pixels le plus terrifiant du JV.

Enfin, on peut parler de OneShot, qui nous fait jouer Niko, un jeune garçon perdu dans un monde qui n’est pas le sien. Son but est de rallumer le soleil d’un univers mourrant. On comprend rapidement que nous faisons partie intégrante de cet univers, et que c’est nous qui dirigeons directement le personnage, et qui en avons donc la responsabilité. L’antagoniste du jeu nous le rappellera fréquemment, en communiquant avec nous via des fenêtres pop-up, des fichiers du jeu, ou en touchant à notre fond d’écran. Le fait de quitter le jeu aura donc des effets sur votre personnage. En effet, Niko vous fera part d’absences qu’il subit, au cours desquels il fait des rêves. Et, à la fin du jeu, on devra choisir entre sauver ce monde ou permettre à Niko de rentrer chez lui, faire les deux n’étant évidemment pas possible. Il n’y a pas d’happy end, et le choix de sacrifier cet univers ou un jeune garçon qui n’a rien demandé à personne sera définitif sur votre sauvegarde. De quoi mettre un peu de pression sur vos épaules de gamer tranquillement installé dans son salon.

Briser le 4e mur
Un choix difficile, que VOUS devrez assumer.

En conclusion, le fait de briser le 4e mur dans le gaming est un procédé qui existe depuis toujours et sert de nombreux objectifs. Mine de rien, c’est une technique narrative utilisée assez fréquemment. Le problème étant que, plus elle est utilisée, plus les joueurs s’y habituent et plus il sera difficile de les surprendre la fois d’après. Beaucoup de jeux utilisent le procédé de manière un peu facile et clichée. Mais quand c’est bien fait, cette technique permet un investissement total dans notre aventure vidéoludique. On espère donc que les développeurs vont continuer à se creuser le crâne pour nous surprendre, et nous apprendre qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Merci Oncle Ben.

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